Le Figaro, septembre 2023 | Aveyronnais, Basques, Bretons… Comment la tradition de l’entraide régionale perdure à Paris

Par Ysé Rieffel

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RÉCIT – Pour trouver un logement, un travail ou tout simplement rompre l’isolement, les néo-Parisiens venus de toute la France peuvent compter sur le soutien et le réseau de leurs compatriotes. Des pratiques séculaires entretenues par les associations régionales.

« Passer d’un village de 800 âmes où tout le monde se connaît à une mégalopole de 12 millions d’habitants, c’est plutôt intimidant. » En juin dernier, quand les résultats de Parcoursup tombent, Max-Pablo prend rapidement conscience que sa vie va radicalement changer. Admis en licence de droit à la Sorbonne, le lycéen originaire d’Arnac-Pompadour, dans le département de la Corrèze, doit préparer à la hâte son arrivée dans la capitale. Non sans une certaine appréhension : « Poser bagage n’est qu’une première étape. Après, il faut s’adapter à la vie parisienne… »

Comme lui, des milliers de jeunes s’installent chaque année à Paris (45.879 en 2020 selon une étude de l’Atelier parisien d’urbanisme APUR sur les 15-24 ans). Environ la moitié d’entre eux viennent de province (les autres sont des Franciliens ou des étrangers). La Ville lumière continue donc d’aimanter étudiants et jeunes travailleurs qui perpétuent une longue tradition. « Ce sont les traces de ce que le géographe Jean-François Gravier appelait ‘le désert français’, une inégalité territoriale qui a donné lieu à des migrations après la Seconde Guerre mondiale, explique le politologue Romain Pasquier. Bretons, Auvergnats, Ch’tis, ou encore Provençaux sont venus chercher du travail à Paris. Le quartier de Montparnasse par exemple a une forte empreinte bretonne. ». Les innombrables crêperies sises près de la gare en témoignent.

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Toujours à Paris, l’association Résidences Ille-et-Vilaine met à disposition des logements temporaires aux jeunes Bretons dont le domicile des parents se situe dans le « 35 ». La Maison Basque de Paris, association née en 1956, dispose, elle, de 37 lits pour les jeunes travailleurs et étudiants originaires du Sud-ouest. « Des milliers de Basques des Pyrénées et de la Bidassoa ont trouvé dans cette résidence leurs premières chambres à Paris », confie Thierry Vercambre, membre du comité directeur de l’association.

Des « bureaux de placement »

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« À la fin du 19e siècle, avec l’afflux de Bretons qui arrivent à Paris, se forment des associations culturelles et sportives dans lesquelles les gens s’investissent, ce qui permet une forme d’intégration », note l’historien Thomas Perrono. « Début 1900, il y avait environ 90.000 Bretons à Paris », ajoute ce spécialiste des migrations bretonnes contemporaines, rappelant l’existence de « bureaux de placements » jusque dans la première partie du 20e siècle. « Quand un Breton arrivait à la gare Montparnasse, les associations allaient à sa rencontre pour lui trouver un emploi. » À la sortie de la deuxième guerre mondiale, l’Abbé Gautier est envoyé à Paris pour créer la Mission Bretonne, association catholique d’entraide et d’action sociale. « La majorité ne parlait pas français. L’association leur donnait des cours, aidait à trouver un logement, et empêchait les femmes de rentrer dans les réseaux de prostitutions, explique Enora Burlot, présidente de la Mission Bretonne. Aujourd’hui c’est un centre culturel. »

Il fut un temps où l’association avait une chambre à disposition. « Pour toute demande de logement, on oriente les personnes vers le service social breton qui propose un accueil temporaire aux femmes. » Aujourd’hui encore, c’est un point de repère pour beaucoup de jeunes Bretons qui débarquent à Paris. Enora Burlot se remémore son arrivée il y a quinze ans : « Je me sentais seule alors j’ai renoué avec la culture bretonne. Pendant les cinq premières années, j’y ai passé tout mon temps libre. C’est un lieu d’ancrage. »

Une réponse à la centralisation

« Le régionalisme est la mobilité de groupes sociaux et politiques qui cherche à valoriser une identité régionale. Il est culturel, économique et politique », éclaire Romain Pasquier. Ces formes d’entraide créées au cours de l’Histoire sont des réponses à la centralisation de la France autour de Paris. Tout au long du 20e siècle, notamment dans les années 90, des cercles se nouent avec cette volonté d’aider, et d’améliorer les équipements dans leurs régions d’origine. « La France reste un pays très centralisé, il y a nécessité d’avoir des réseaux pour accéder à la décision parisienne, poursuit le politologue. Cela continue aujourd’hui. Par exemple, le groupe parlementaire LIOT avec des députés corses ou encore bretons travaille pour faire avancer les politiques linguistiques culturelles ».

« Pour continuer à faire vivre leur héritage loin de chez eux, certains ‘déracinés’ ont par ailleurs besoin de pratiquer leur langue régionale », ajoute Romain Pasquier. (…) « Certains attendent la retraite pour retourner au Pays basque, glisse Antoine Vigneau, membre bénévole du Comité de Direction du Club [de Pelote Basque à Paris]. Mais beaucoup de jeunes comptent repartir une fois leurs études finies. » Paris devient alors un simple lieu de passage.

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